Mais ne nous délivrez pas du mal

Extraits du livre De Groland au Grand Soir, éditions Capricci (2012)

Emmanuel Burdeau : Comment avez-vous découvert les films de Joël Séria, cinéaste aujourd’hui oublié et qu’en général le public ne connaît qu’à travers Les Galettes de Pont-Aven, les envolées de Jean-Pierre Marielle dans le rôle d’un V.R.P. en parapluie, peintre naïf amateur et chantre délirant du « cul » des femmes ?

Benoît Delépine : Je les ai connus à la campagne quand j’étais ado. Je vivais dans un petit village, je n’avais pas beaucoup l’occasion d’aller au cinéma. Il y avait à l’époque une ou deux chaînes… Quand la télé a diffusé à 20 h 30 un film aussi explosif que Les Galettes de Pont-Aven, je me le suis pris dans la gueule. On peut même se demander comment elle a pu laisser passer ça.

Gustave Kervern : Je n’ai vu que deux films de lui. J’ai découvert …Comme la lune (1977) à Quend, c’est génial.
 

EB :  Marielle atteint des sommets dans …Comme la lune, dans le rôle de Pouplard, bellâtre hâbleur, bon coup mais… con comme la lune. La femme dont il est fou amoureux, interprétée par Sophie Daumier, ne se prive d’ailleurs pas de le lui faire remarquer. Séria va très loin dans la description d’une virilité franchouillarde à la fois conquérante et défaite, ridicule.
BD : J’ai vu tous ses films. La scène finale de Les Deux Crocodiles (1987) où Carmet et Marielle, enlacés, roulent en maillot de bain sur la plage est une hallucination ! Séria possède une truculence un peu tourmentée. Certains de ses films, comme Marie-poupée (1976), sont à la limite du fantastique. Il a frôlé le glauque, le morbide. La projection de …Comme la lune à Quend a eu lieu en plein air, en présence de Séria et de deux mille jeunes morts de rire. C’était bon ! Séria a gentiment été mis peu à peu à l’écart du cinéma français. Après Les Deux crocodiles, il a disparu de la surface… Il a ensuite réalisé des téléfilms, mais en devant mettre de l’eau dans son vin. On le connaît bien, on était déprimés pour lui. Il a récemment réalisé un film très autobiographique…
GK : … Mumu (2010)…
BD : … un film très nostalgique sur sa jeunesse, son enfance en maison de redressement, l’institutrice qui l’en a sorti. Les dialogues sont moins à l’emporte-pièce, Marielle manque… Ses films ont marqué. Les Galettes cartonne quand il repasse à la télé. C’est étonnant.
GK : Je me demande si …Comme la lune n’est pas supérieur, en termes de dialogues et de dinguerie. Marielle !
BD : Un monument.
GK : Son sens des dialogues est extraordinaire. Blier, Audiard et Séria sont les grands dialoguistes français.
BD : On peut peut-être dresser un petit parallèle entre Séria et nous — tous sans doute issus de milieux plutôt modestes : lui aussi parle de ce qu’il a vécu. Il devait avoir un père V.R.P., ce n’est pas possible autrement. Il parle également des marchés… Ce genre de sujet n’est pas abordé dans le cinéma traditionnel.

EB : La séquence du V.R.P. en pleurs au restaurant de l’hôtel, dans Mammuth, est-elle inspirée de Séria ? On retrouve l’imaginaire des Galettes de Pont-Aven, le côté déprimant de la vie du représentant, dînant tous les soirs seul, dans des hôtels vert-de-gris…
BD : Non. En tournée, on voit souvent des types tous seuls avec leur petit pichet. Ça nous déprime…
GK : … surtout la demi-bouteille de vin.